Article garanti sans spoil.
A bien y réfléchir, je viens d’une génération qui a fait office de transition entre deux ères importantes : celle de l’informatique omniprésente, dans nos poches comme sur nos bureaux, et celle qui ne la voyait que comme un outil bureautique réservé à une tranche de la population assez friquée. J’ai eu la chance d’avoir un ordinateur dès ma prime jeunesse, c’en est donc suivi une passion pour l’outil se transformant en une obsession à créer des pages web plutôt qu’inviter mes camarades de primaire à mon anniversaire.
Un âge où il est naturel de fantasmer la vie de pirate, à ceci près que le mot n’a jamais eu pour moi la même définition que pour mes autres camarades. D’autres eaux m’attiraient : celle du « surf » sur le web. Vous souvenez-vous encore de lorsque nous utilisions ce mot, « surf », pour décrire le fait d’aller sur internet ? Je n’ai jamais très bien pourquoi celui-ci était utilisé. Peut-être pour rendre la pratique plus cool que simplement cliquer de lien en lien dans une pièce à peine éclairée avec des yeux injectés de sang par le manque de sommeil. Pour sûr, difficile d’utiliser ma génération nolife comme un argument de vente.
Je m’égare toutefois. Pirate, donc. J’ai toujours rêvé de le devenir, ce qui à 8 ans voulait seulement dire acheter des magazines sur le sujet comme Zataz ou Hackerz et faire semblant de comprendre ce dont les articles de leurs pages parlaient. Des CD étaient offerts avec ceux-ci. C’est aussi grâce à eux que l’on peut voir que ma génération n’était finalement que transitoire : mon premier contact avec la pornographie s’est fait par ces CD. Pas assez vieux pour devoir acheter un magazine, trop vieux pour connaître les sites de streaming gratuits dont nous avons tous l’habitude.
Il semblait que mes camarades et moi-même devions faire un choix très tôt : garder les valeurs de la génération avant nous, ou s’offrir aux nouvelles valeurs que le libre accès à l’informatique créerait. Petit village de campagne aidant, je fus l’un des rares à me fondre dans le code plus que la télévision. Je vous parle d’une époque où je sauvegardais des toolkits sur des disquettes pour me croire armé jusqu’aux dents dans la future guerre numérique à laquelle je fantasmais de participer.
Hack Club
Long préambule personnel, je tente une nouvelle approche sur cette plateforme. Viens donc Mr Robot, une série qui est apparue maintes et maintes fois sur ma timeline Twitter avant que je ne me décide à y jeter un oeil. J’aimerais vous dire que c’est son ambiance qui m’a attiré, ou les nombreux commentaires positifs sur la série qui m’aura enfin fait faire un tour sur Eztv, mais il n’en est rien : j’étais simplement curieux de revoir Rami Malek, découvert dans Until Dawn sur PS4, particulièrement dans un rôle qui ne lui demande pas d’être affublé de balles de golf et être numérisé pour prendre vie.
Une série qui parle de piratage, un univers que j’apprécie particulièrement du fait de mes obsessions enfantines. Tout ce préambule, pour ça. Le « pay off » de cette longue intro était-il vraiment juste pour dire que « le piratage, c’est marrant » ? Nous verrons bien. Cette série est, paraît-il, très crédible, mais je ne saurais pas vous l’affirmer : je n’y connais vraiment rien, même si le peu de notions de réseau que j’ai acquis au fil des années m’a été utile pour tout suivre. Ca paraissait plausible, pour un néophyte tel que je suis.
Le hacking, c’est marrant. Ca fait un bon setup, ça fait un bon vilain, et même un bon héros. On peut l’utiliser pour tout et n’importe quoi. Et là où Mr Robot m’a surpris, c’est qu’il n’utilise pas ce contexte pour seulement parler de sécurité informatique : la série est bien plus un mélange entre de Fight Club et V For Vendetta qu’elle n’est un énième Die Hard. La surprise entre le 0 et le 1, c’est le sentiment. L’humain.
La série n’a de robotique que son nom alors qu’elle nous fait descendre dans les abîmes de la solitude et de la folie de son personnage principal, entouré de personnages secondaires ayant tous leurs propres névroses. Evidemment, façon Watch Dogs, nombreux sont ceux un poil trop romancés tendance « punks des temps modernes hip-hop casquette ma gueule », mais le mélange marche bien et reste cohérent.
Le pire dans tout ça, c’est qu’ils nous parlent de psychologie en arrivant quand même à rendre le tout rythmé. Ils s’amusent avec l’image et ça se voit, la réalisation m’a souvent laissé quelque peu circonspect alors que des plans semblaient aller à l’encontre de tout ce que ce bon monsieur Bettembourg, rare prof intéressant de ma courte carrière d’étudiant, m’avait appris. « Décalage », le premier mot qui me vient à l’esprit. Où va le regard quand deux têtes sont bloquées sur le dernier tiers de l’écran. Quand l’image devient floue sur quelques secondes. Et puis, on comprend : le personnage principal nous a caché quelque chose à nous, spectateurs, mais aussi acteurs du récit constamment apostrophé par sa narration.
Nolife
Ce n’est pourtant pas ce que je retiens de Mr Robot. A 24 ans, je continue d’avoir ce petit anarchiste aux cheveux longs et aux pantalons bien trop larges me susurrant dans un coin de ma tête des envies de chaos. Une incompréhension du monde, de la vie, de la hiérarchie. Et la série le sait, appuyant précisément sur tout ce qui m’aura fait froncer les sourcils en grandissant : pourquoi ce monde organisé en oligarchie ne choque personne ? Pourquoi apporte-t-on de la valeur à une monnaie qui n’est qu’une succession de 0 et de 1 dans un programme informatique régissant bien trop notre quotidien ?
Mais surtout : pourquoi suis-je le seul à m’y intéresser ? Pourquoi suis-je le seul sur mon ordinateur, à gratter chaque soir pour tenter de donner du sens à ces if/then plutôt que de jouer avec mes cartes Yu-Gi-Oh ? Pourquoi aucun membre de ma famille ne semble y faire attention ? Se pourrait-il que je sois adopté ? Autant de trips qu’un enfant peut vite se faire alors qu’il est plongé dans la solitude.
Et c’est surtout ça que décrit parfaitement Mr Robot : les pensées d’un solitaire n’ayant jamais voulu l’être. Ces pensées qui me rongeaient gamins, et qui ont sûrement rongé quiconque a vécu l’avènement de l’informatique à cette époque : trop important pour être ignoré, trop difficile d’accès pour que la majorité soit concernée.
J’ai toujours voulu être pirate, quand d’autres ont pu vouloir être Robin des Bois. Parce que mon incompréhension du monde qui m’entoure ne me faisait que penser que quelque chose allait profondément mal dans notre société. Que « quand je serais grand », cette lutte se ferait sur Internet. Et qu’il fallait absolument que je l’apprenne dès maintenant. Une pensée qui m’a abandonné en grandissant, une volonté de faire le bien diluée par les réseaux sociaux où les jugements hâtifs et haineux suffoquent toute joie primaire.
Mr Robot est une catharsis, un plaisir vicieux de voir un fantasme se réaliser et les répercussions fictives de celui-ci. Mais c’est aussi un douloureux rappel des ravages que la solitude peut faire au conscient comme au subconscient, magnifiés par le prisme de la folie, et qui lancera certainement une dernière goutte d’acide sur des cicatrices encore légèrement douloureuses que l’on pensait éteintes depuis bien longtemps. Un salut à ma génération, du plus innocent ou plus désabusé.
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